La Horde du contrevent : avis de tempête !
Je me suis greffée, en ayant loupé le départ, à une lecture commune de la blogo sur la Horde du Contrevent d'Alain Damasio. Il se trouve qu'il s'agit d'une relecture, et c'est super important de le souligner (à ma première lecture j'étais plus que séduite et aussi dithyrambique que ce qu'on peut lire sur d'autres avis. Cette fois ci mon avis est un brin plus nuancé ).
Ma relecture s'est avérée fort chaotique. J'en dévorais un chapitre, deux, puis j'arrêtais pendant un mois. J'ai avancé comme ça, morceaux par morceaux... à vouloir abandonner, puis à décider de ne rien lâcher, de contrer jusqu'au bout, comme eux.
L'Histoire ? La 34ème Horde c'est 23 personnes qui font bloc, avec leur corps et leur âmes. Leur destin est de contrer ensemble, quoi qu'il leur en coûte, les vents violents qui viennent d'Extrème-Amont. Mètre après mètre, année après année, ils marchent ainsi contre le vent, dans la quête ultime de rejoindre l'Extrème-Amont, ce lieu mythique où serait la fin du monde... ou le début d'un autre ?
(pour plus de détails je vous invite à lire les critiques des blogopotes, cf fin d'article)
La Horde fait partis des rares chef d'oeuvres qui ont été des chocs littéraires pour moi. Son iceberg à fait coulé le Titanic de mes certitudes. Ce livre-univers à ouvert mon horizon littéraire comme jamais je n'avais pu imaginer. Alors forcément, lorsqu'à la relecture, je vois que le souffle ne prend pas, je me sens trahie par un livre que j'ai, sans le vouloir, érigé au rang de culte. ça m'a mis en colère. Sans déc'. Je ne voyais plus que les défauts, au point que j'ai dû arrêter, attendre... que le vent tourne.
Pourtant, dès ma première lecture, j'ai eu conscience des faiblesses du livre. Trop compliqué, trop de personnages, pas super bien organisé. Autant dire que là, je l'ai pris "dans le groin", plein vent, comme dirait le Goth. Mais barnak ça vaut le coup de se forcer un peu, de rentrer dedans, de faire corps !
Le livre est écris à plusieurs voix : chaque personnage à son glyphe qui le représente et nous précise qui parle. Bien sûr il y en a qui prennent plus la paroles que d'autres pour nous raconter leurs aventures. C'est plus particulièrement Caracole et Golgoth qui se démarquent. Le premier, parce que c'est un troubadour, amoureux des mots, et ses interventions sont toujours un plaisir de la langue. Caracole a toujours les mots précis, saisissants, drôles et réfléchis.
Quand au deuxième... son franc-parler coupe tout ce qui dépasse à la tronçonneuse. Golgoth a le langage grossier (son côté misogyne est parfois un peu lourd) mais non moins pleins d'images pleines de saveurs bien terre-à-terre.
Je n'avais pas bien fait gaffe, lors de ma première lecture, au fait qu'il défende "le peuple d'en bas" comme on le voit surtout avec les racleurs d'Alticcio. C'est vraiment un terrien, tandis que Caracole a bien plus de l'élément air (c'est élémentaire quand on connaît la nature profonde de Caracole).
Mais il n'y a pas qu'eux : tout les personnages sont taillés à la hache par le vent qui les façonne.
J'ai retrouvée avec bonheur les jeux de mots et autres Caracolades. Ainsi que des descriptions vivifiantes. Un vrai plaisir des mots, qui semblent jouer les uns avec les autres, danser sur la page. Et bien sûr, la fameuse écriture où Alain Damasio se sert de la ponctuation pour transcrire le vent qu'ils affrontent.
Mais dans le fond, c'est tout le livre qui sert d'immense partition.
Quelques extraits :
Respect du vent plutôt (...) Pour nous, il est l'ennemi qui s'affronte. Ce qui nous tient debout. Nous redresse. Et nous fait. (p489)
Le ciel se vide à perte de nuages et de seaux, nous sommes lavés à l'orage, douchés au sang, fripés, glacés, rincés, à patauger mètre après mètre sous la cascade insistante, dans les tourbières qui s'effondrent, à aboyer en vain vers le sec, le torse grenaillé de gouttes et le visage en ornière. (p379)
Caracole, s'adressant à la Horde : "Mes-âmes et mes-cieux, jouvanceaux et pucelles, messaigneurs et bouchers... " (p361)
C'est un livre qui se vit, qui se digère. Il peut être bouleversant lorsqu'il résonne avec le ressenti du lecteur. J'ai envie de dire "il fait réfléchir" mais plus avec les tripes que la tête (même si elle est aussi fortement mise à contribution lol). Il est copieux et plutôt du genre "retourne-certitude". L'auteur ne se contente pas en effet d'une belle partition : il y met du caractère, de la vie, notamment par une philosophie longuement détaillée du vent. Le mouvement est placée comme l'essence même de la vie.
Et à ce niveau, la relecture est savoureuse. Peut être aussi parce que j'ai mûrit personnellement depuis ma première lecture, certains détails de sa théorie du mouvement et du vif m'ont frappées. Sans entrer dans les détails, je me suis retrouvée dans les dilemmes de Caracole. Je peux vous dire que ça fait un drôle d'effet de voir un livre poser les mots que vous même n'arrivez pas à mettre sur ce que vous ressentez ! La fin aussi a été terrible... Et c'est par cette résonnance avec moi que j'ai eu autant de mal à le lire, et en même temps que je le trouve aussi passionnant, parce qu'il fait évoluer (je pense que cette résonnance est plus ou moins forte suivant chacun mais qu'elle n'est pas particulière à mon cas).
J'ai beaucoup plus compris le côté philosophesque de ce livre. J'ai bien plus ressentis les métamorphoses de chaque personnages. Je les ai plus sentis en profondeur, plus identifiés les un des autres aussi (une vingtaines de personnages ça fait beaucoup... la première fois je les mélangeais totalement). Et c'est agréable
Venons en aux bémols. Comme je disais au début, le souffle du vent, cette magie qui m'a tant transportée à la première lecture, effaçant les défauts, n'a pas été présente cette fois ci (en tout cas moins). J'ai eu beaucoup de mal à ne pas crisser des dents devant la philosophie parfois franchement incompréhensible. Ou pire, qui reste à fleur de peau, comme lorsqu'on a quelque chose sur le bout de la langue. Un vrai supplice de Tantale*.
J'ai aussi beaucoup pesté (et je râle encore) au niveau de la structure du récit. Faire des ellipses de plusieurs années, à la limite... Mais "zapper" des passages aussi importants que la porte d'Urle, alors qu'on nous raconte toute la préparation, et qu'on précise bien comment c'est insurmontable... pour ensuite avoir juste quelques explications succinctes de la part des personnages, qui se rappellent ce qui s'est passé, des années plus tard... Non seulement c'est monter un flan qui s'effondre comme ça, pour rien, mais c'est terriblement frustrant ! Il y a comme ça pas mal d'actions qui ne sont pas racontées, à peine esquissées plus tard, alors qu'elles sont capitales (comme les trois défis d'Alticcio).
Déjà que je déteste le principe du "on vous raconte comment ça s'est passé" (et pas comment ça se passe) qui casse tout suspens à mes yeux, là c'est le bouquet. Il aurait peut être été mieux de tout raconter au présent, de continuer à étoffer tout ça, quitte à faire une trilogie. Mais je suppose que c'est voulu, ce livre est comme un vif avec des noeuds bien précis où tout se concentre, quitte à ce que ça déborde (parce que pour le coup, certains passages sont presque trop longs, comme le combat entre Erg et Silène).
Enfin, je trouve que Damasio n'est pas clair dans certains éléments importants de son intrigue. Il y a des questions que les personnages posent mais auxquelles personne ne répond, parce que c'est trop dérangeant. Et nous alors ?! Attention spoiler (ceux qui ont lu le livre vous pouvez surlignez les phrases suivantes ): Ainsi pourquoi la Poursuite veut elle abattre la Horde si elle a été envoyée par les même qui envoient la dite Horde ? Pourquoi Te Jerka peut se battre avec le corroyeur, alors que c'est le défi de Erg non ? Pourquoi le corroyeur tue Silène ?
Tout ça pour dire que je comprends l'avis de Traqueur stellaire même si je ne le partage pas.
La Horde du Contrevent est un livre exigeant et complexe, aussi bien dans la forme que dans le fond. Il remue les tripes.
Il raconte avant tout une longue métamorphose (des personnages et du groupe tout entier), et il embarque le lecteur dans ce même travail.
Je pense que soit on refuse de se laisser faire, et on passe plus ou moins à côté (au mieux, on le lira alors comme un livre d'aventure longuet). Soit on se laisse porter par le vent... et la chenille qui a ouvert ce livre se retrouve papillon.
Un livre-expérience, à vivre.
Ma note est de 5/5. Même si ses défauts m'ont fait peiner lors de cette deuxième lecture, il lui reste assez de qualités pour ne pas être détrôné, notamment pour m'avoir aider à évoluer intérieurement. Emotionnellement, ce livre c'est un sacré impact sur ma vie... Il garde donc sa place de favori dans mon coeur et je vous invite tous à le lire !
Je serais curieuse de savoir : y'en a t'ils parmis vous qui ont tentés une relecture ?
Livre relu dans le cadre du challenge chefs d'oeuvres de la SFFF.
D'autres avis (ils feront bon complément du mien sur lequel je ne me suis pas attardé à répéter ce que bien d'autres ont dit) :
Tigger Lilly (le dragon galactique)
" - Seul ton amour pour eux pourra sauver autre chose de la Horde que le simple souvenir que tu en auras. " (p253)
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*le supplice de Tantale : issus de la mythologie grecque. Il s'agit d'avoir quelque chose à portée de la main mais de ne pas pouvoir l'atteindre.