Black Panther, le film raté qui voulait faire différent
2018 super héros, SF - 2h15
Le Wakanda est un royaume d'Afrique qui, grâce à sa technologie largement supérieure, se cache du monde depuis des siècles. Son roi vient de mourir, et son fils doit revenir dans son pays pour devenir le nouveau Black Panther.
A l'origine, il y a un film de super héros Marvel vendu comme différent, aux supers décors et costumes recherchés à la fois traditionnels et afrofuturistes. Un concept plutôt tentant : celui de se focaliser sur un pays (imaginaire) d'Afrique, oscillant entre tradition et modernité, et abattant au passage le traditionnel héros blanc américain pour proposer autre chose. Sur le papier, ça vend donc plutôt du rêve. Mais le résultat est un brouillon extrêmement décevant, et à la limite contre-productive si on reste à une lecture au premier degré.
Que je m'explique. Le bon côté du film est en effet cette redistribution des rôles : bien que le héros soit un homme, et un roi, il y a une notion de respect et d'égalité des sexes qui se dégage, et les personnages qui l'entourent sont avant tout des femmes à fortes personnalités. De même, chaque plan de foule hors-Wakanda montre une belle variété de couleurs de peau, et si le casting est noir en majorité, on notera le rôle de l'allié blanc qui est ici une pichenette moqueuse du "rôle du noir de service" habituel (tout en lui laissant un rôle juste et pas celui de la plante de service). Donc en clair, la distribution du film montre un autre visage qui fait plaisir, celui de la diversité ethnique, et d'une égalité homme/femme. Là, on est sur une lecture de surface, mais déjà on sent un petit quelque chose qui gratte : est-ce vraiment un discours égalitaire quand il s'agit surtout d'une inversion des rôles entre blancs et noirs ?
Les deux blancs principaux étant un allié et un ennemi. Bon, et voilà qu'intervient un ennemi noir (l'un des personnages les plus intéressants). Ok, tu te dis ils n'ont pas fait une bête inversion. C'est là que se développe l'histoire et les thèmes du film, alors ça va être difficile sans spoiler, mais disons que le film montre une ouverture progressive du Wakanda vers l'extérieur, et donne plusieurs réactions à la question "et pourquoi nous, les Wakandais qui avons la technologie et nous planquons dans notre paradis, n'allons nous pas aider nos frères (de peau) qui souffrent dans le monde entier de l'oppression ?". Attention je résume, il n'est jamais dis clairement que c'est noir versus blanc (le film préférant parler de manière plus polissé de l'oppression des pouvoirs en place), sauf à travers de petites mentions de l'Histoire (l'esclavage et la vision de la pauvreté à Oakland). Si l'idée est intéressante à exploiter, si le film nous présente plusieurs réponses, tout cela est un vrai torchon !
Au point que la personne qui m'accompagnait à la séance m'a fait part de son malaise, et je l'ai ressenti aussi : quel message le film envoie t-il ? au premier degré, le film est tellement brouillon qu'on peut presque se demander s'il ne cherche pas à inciter le "peuple noir" à la révolte. Avec un peu d'attention on note pourtant, au delà du brouillon mal géré, une volonté d'ouverture, de tolérance et de partage : la sœur et l'amoureuse du héros sont des rôles progressistes et modernes clamant le besoin pour le pays de s'ouvrir aux autres (tous les autres), le héros évolue dans sa mentalité vis à vis des traditions (et passe de l'indifférence à interventionnisme pacifique), celui qui incite à la révolte armée se fait battre, et il y a deux scènes de fin qui concluent dans le bon sens (la première, assez timide et qui peut être sujette à une mauvaise interprétation, conclue le film, la deuxième est post-générique - ! - et plus claire, bien que certains focus visuels peuvent prêter encore une fois à interprétation).
Bref, il est vraiment malheureux que les thématiques soient tellement mal gérés et sous-exploités qu'on peut se demander le réel message derrière : je penche pour l'ouverture et la coexistence égalitaire entre les peuples avec un aspect sous-jacent, un brin vindicatif, de "nous aussi, peuple noir, nous existons". Car au premier plan, c'est bien sûr la quête du héros, et le roi qui se retrouve dans une lutte de pouvoir, comme disait un ami, c'est presque Le roi lion !
Et le reste ? Malheureusement rien à sauver. Le marketing sur les costumes a très bien marché, mais au final le produit parait terne, même si je ne nie pas les efforts fait pour représenter la diversités des tribus africaines. Il y a surtout un vrai problème conceptuel avec ce pays sensé être à la pointe de la technologie depuis des siècles, tout en étant un héritier de plusieurs cultures africaines : le film, que ce soit dans l'image ou la bande-son, va nous montrer soit de la modernité, soit de la tradition, mais fera que très exceptionnellement le pont entre les deux (ou de manière très discrète) ! La direction et la mise en scène ne nous donne aucune vraie originalité et parait même en deçà de bien d'autres productions : pour un film de plus de 2h, nous avons le droit à trois duel très long et peu intenses (avec même une très grosse bévue des effets spéciaux, une blessure à la crédibilité nulle). Franchement, rendez-moi Valérian ! Pour un Marvel on peut aussi déplorer le manque d'humour (qui se résume à des pointes mal gérés et rares, avec seulement un vrai moment qui fait sourire) et une émotion assez limitée (que je résumerais à la mort du méchant, seule scène m'ayant un tant soit peu marquée).
En conclusion, Black Panther est un brouillon vide. Le concept était alléchant mais géré avec les pieds, donnant presque un message contre-productif sur une nouvelle répartition ethnique anti-cliché et une évolution des mentalités vers l'égalité et le partage. En prime, aucun aspect du film ne rattrape cette bévue de conception pour donner envie de le revoir : ni le visuel, ni les dialogues, l'humour ou l’émotion, ni même l'action (un comble !).
Black Panther est un échec ayant raté le coche. On peut lui accorder cependant la volonté d'avoir voulu faire autrement et de présenter une honnête égalité des sexes, ainsi que d'être important pour cette inversion inédite (aussi bien pour que la communauté noire se sente enfin représentée que pour casser les clichés du héros blanc pour faire avancer les mentalités)
2/5
Je suis assez d'accord avec l'article de Libération qui complète cette critique.
Si vous voulez un avis contraire, il y a Nico sur l'écran-miroir qui a grave surkiffé :) ou encore Lhisbei qui ont chacuns des avis éclairants (j'aime bcp lire les ressentis de chacun :-) )
ps : j'admets me sentir gênée, en tant que blanche, de ne pas avoir réussis à me mettre à la place des personnages malgré des thèmes universels. est ce une réaction épidermique de voir "la supériorité blanche" inversée ?, est-ce que c'est ce que ressentent les noirs lorsqu'ils regardent les productions habituelles de super héros blancs ? Étonnamment, j'arrive bien à m'identifier à la place d'un homme pourtant... je me demande si c'est parce que la question du "Black power" est mis en avant dans ce film d'une façon qui ne m'interpelle pas (je vais par ex être empathique avec l'histoire d'un noir me racontant la discrimination qu'il subit), tout comme je ne pourrais pas m'identifier à un héros faisant preuve de machisme. A moins que le film n'ait pas sû me capter par manque d'émotions (les personnages m'ont parut particulièrement plats) ? Tout ça m'interroge !