Un handicapé n'est pas toujours en fauteuil roulant
Prenez une rame de tram : une vingtaines de personnes qui ne se connaissent pas, de tout âge, de tout horizon, côte à côte. Il y en a une en fauteuil roulant. Au premier coup d'oeil, vous pensez que c'est la seule à être handicapée n'est ce pas ? Pas de raison de penser autrement, après tout, physiquement les autres personnes ne présentent aucun signe révélateur. Et comme me le faisais remarquer si justement Isabelle Guso, le logo handicapé nous met bien en tête que handicap = fauteuil.
Regardez mieux. Vous voyez la jeune fille à gauche ? Elle a bien une petite mine, les traits tirés, mais semble bien portante. Ceux qui la connaissent savent qu'elle est toujours volontaire et travailleuse. Qui pourrait penser qu'elle a une maladie génétique qui l'épuise au quotidien ?
Et la fille aux épaules basses là bas dans le coin ? Celle qui évite soigneusement les regards, le moindre contact, et semble au bord de la crise de nerf ? Elle souffre d'agoraphobie. La présence des autres lui est totalement insupportable, comme s'ils lui prennaient tout son air et qu'elle ne parvient plus à respirer. Pourtant, elle a décidée d'affronter vaillamment la foule, pour ne pas rester cloîtrée chez elle. Pour garder un minimum de vie sociale. Pour vivre.
Ces jeunes filles sont handicapées autant que la personne en fauteuil roulant. Avec un handicap de plus, si je puis dire : cela ne se voit pas.
Ces handicaps invisibles, je les connais. Ces jeunes filles, ce sont moi, c'était moi. J'ai été agoraphobe, je le suis moins maintenant -on va dire que c'est en voie de guerison. Ma maladie génétique, par contre, je la traînerais à vie. J'ai une myopathie au nom (pas si barbare que ça) de Charcot-Marie-Tooth. En quelques mots, ce sont mes nerfs qui sont touchés. Parce que mes nerfs communiquent difficilement, l'information met légèrement plus de temps à circuler. (Je ne vais pas m'en plaindre, cela m'a permis d'avoir du temps supplémentaire au bac XD)
Concrètement, qu'est ce que cela me fait ? J'ai une force physique limitée, et ce sont mes membres extérieurs les plus touchés, soit mes pieds et mes mains. Je n'arrive pas à ouvrir une bouteille par exemple (ou difficilement, il ne faut pas qu'elle soit vissée fort). Mes pieds sont déformés (si vous cherchez sur internet cette maladie, vous trouverez des photos affreuses, heureusement, ils ne sont pas atteints autant !). Cela entraîne une crispation qui m'occasionne des tensions qui remontent dans tout le corps (des pieds, aux jambes, au dos, à la nuque), et j'ai régulièrement de la kiné pour m'aider (rassurez vous hein ça reste tout à fait anodin, il faut juste que je veille à bouger le plus possible et à faire des étirements pour ne pas avoir d'impatiences dans les jambes la nuit -ce qui m'empêche de dormir). Il est parfois difficile de déterminer si mes symptômes sont la conséquence de cette maladie ou non (par ex je fais de l'hypotension -j'étais à 8 pendant plusieurs années).
Ce qui est stressant, c'est de cela peut stagner et rester ainsi toute ma vie ou empirer brusquement (sans mettre pour autant ma vie en danger hein, on se détend). Ainsi je sais que cela touche aussi les mains, et que l'on m'a dit que je devais les entretenir, developper ma dexterité. Ce que je fais en tappant au clavier, en tricotant (oui aussi XD), ou en dessinant. Mais j'ai facilement des crispations dans les doigts, et cela me fait peur. Mes mains, c'est ma vie, c'est par leur biais que je communique, que je m'exprime. J'ai peur de perdre cette mobilité, que mes mains se paralysent... (Bref je m'écarte du sujet, mais je tenais juste à exprimer le fait que c'est angoissant de ne pas savoir à quoi s'attendre).
Le principal symptôme, cela reste la fatigue chronique, SFC de son ptit nom. Drôle de symptôme que celui-là ! Il est présent dans bon nombre de maladie, et c'est le plus vicieux de tous. Pour ne pas se voir celui là, il ne se voit pas ! Tout simplement parce qu'on est tous fatigué, un jour ou l'autre. Alors comment accepter que ce soit une maladie, et non de la fénéantise ? Oui parce que comme pour la dépression, y'a toujours quelqu'un qui va refuser que tu puisses être malade et te retorquer "bouge toi les fesses". Il y a rien de pire comme accusation, il n'y a rien de plus faux. Je marche à la volonté, et je pense que tout ceux qui sont crevés par ce symptôme font de même. Imaginez, c'est comme si, pour faire ma journée, j'avais deux litres d'essence dans le moteur, au lieu de dix. Une personne "lambda" qui aurait huit litres au démarrage se sentira fatiguée. Alors avec mes deux pauvres petits litres, je suis vraiment fatiguée. Comprenez que tout au quotidien me demande un effort. Manger, me laver... Répondre à mes besoins vitaux me demande déjà un litre et demi d'essence. Fiuu parti. Alors non, avec un demi-litre je ne vais pas aller faire mes courses et encore moins un footing. Je suis physiquement affaiblie. Je ne fais plus de sport depuis, oulà, dix ans ? Alors je compense comme je peux. Je me repose beaucoup, et mon corps ne sort guère de chez moi, si ce n'est pour mes rendez vous médicaux, et pour l'expédition de la semaine qui est l'atelier dessin/peinture du Lundi. Ma tête, elle, fonctionne à 100 000% et se nourris d'imaginaire (tiens ça, vous l'avez remarqué non ? lol).
Mais c'est pas tout, la SFC a quelque chose de plus vicieux encore : elle est différente suivant les personnes, et elle évolue aussi dans le temps. Un peu comme une dépression en fait (d'ailleurs les deux phénomènes s'accompagnent souvent). Bon je ne vais pas m'étaler maintenant sur mon opinion concernant la relation corps / esprit, bien plus étroite que la médecine traditionnelle ne l'imagine, mais j'ai constaté sur les années, c'est un fait, que plus je me sens mieux dans ma tête, plus ma thérapie avance, plus ma santé s'améliore et plus j'ai de l'énergie. Des litres dans le moteur. Je fais plus de choses et avec moins d'efforts, même si cela peut paraître anodin : tiens aujourd'hui j'ai fait ma cuisine, hier j'suis descendue voir les poules au jardin, l'autre jour j'ai été faire les courses... Je reste dépendante de mon entourage, ce qui me peine, mais je suis de plus en plus active et cela me fait du bien (à noter qu'à partir du moment où je peux manger et me laver toute seule, je n'ai pas le droit à une aide à domicile. En attendant, c'est mes proches qui s'occupent de tout).
Bref revenons à nos moutons, bien que mon cas vous passionne j'en suis sûre lol. Tout ça pour dire qu'un handicapé n'est pas forcément dans un fauteuil roulant, je suis bien placée pour le savoir. Pour vous dire aussi qu'être reconnu comme handicapé, c'est un parcours du combattant. Il n'est déjà pas simple d'admettre que l'on est malade, souvent pour de longues périodes, si ce n'est à vie. C'est une acceptation qui prends du temps. Mais cela ne nous aide pas de faire face à ce refus, que dis-je, ce déni du handicap.
Il m'a fallut trois ans d'attente, et faire appel d'un premier refus, pour recevoir la fameuse carte de priorité handicapé et l'allocation qui me dit tout les mois "oui, l'Etat te reconnais comme handicapée, et on va t'aider". En attendant j'étais incapable de travailler ou d'aller en cours (et pas de RMI ou d'autres aides du genre vu que j'avais jamais travaillé). Sans mes proches j'aurai vécu comment, d'amour et d'eau fraiche ?
Si l'handicapé est bien souvent réduit à "celui en fauteuil roulant" c'est parce qu'on est dans une société qui a érigé la santé parfaite comme saint graal. Nous devons rester jeune et en bonne santé, repousser sans cesse la limite de notre corps, oublier la mort, devenir immortel, voilà ce qu'on nous dit à longueur de temps. Si on entre pas dans ce moule, on est hors-case, hors jeu, la fête est finit on reste sur le banc de touche. Au delà du handicap, si on est malade, on perd toute vie sociale. Un malade doit se reposer alors non, il ne va pas faire la fête, ou moins. C'est le "pénible" de service qui va vouloir rentrer plus tôt, ou ne peut pas faire ceci ou celà. Quant il ne va pas arrêter de travailler, ou d'étudier, bref, de sortir du cadre. Personne ne veut être en compagnie de quelqu'un qui lui rappelle constamment de sa déchéance proche et inexorable, voilà comment la société nous moule. La société ne veut pas de l'handicapé, il dérange, alors elle le met dans un coin. L'handicapé se retrouve donc seul, face à l'incompréhension, parfois le mépris (comme s'il était responsable de son état !).
Pourtant, nous sommes tous handicapés, chacun à notre façon. Un handicap, c'est quoi au final ? C'est une limite, une difficulté, un manque. Je ne peux pas courrir. D'autres ne savent pas lire et écrire. Certains se jugent associal. Beaucoup manquent de confiance en eux. Ou encore on peut manquer d'argent, on peut être issu d'un milieu difficile, on peut être la victime quotidienne de racisme parce qu'on à la peau d'une autre couleur que l'idéal sociétal.
Tout ces facteurs marquent nos différences, isole. Et pourtant, c'est notre richesse !
Reprenons notre rame de tram. Combien voyez vous d'handicapés maintenant ?
Je crois que si on veut que la société accepte les handicapés, c'est un travail qui doit se faire en chacun d'entre nous. Prenez conscience qu'un handicapé, c'est quelqu'un comme tout les autres : cela ne veut pas dire qu'ils n'ont pas de problèmes, non, mais que nous sommes tous des êtres imparfaits, avec nos points forts et nos points faibles.
Et pour finir par une bonne cure d'humour, je vous prescrit le film "Intouchables" où un handicapé social prend soin d'un handicapé moteur, et où l'amitié nait de ces différences qui leurs permettent de partager et de grandir. Actuellement dans les salles !
PS : Pendant des années j'ai crié mon handicap, espérant bêtement que l'on me reconnaisse comme tel, pensant qu'une réponse positive m'aiderai à accepter mon état. Je n'ai essuyé que des dénis, des tentatives d'aides maladroites, quand ce n'était pas de l'indifférence. J'ai finis pas comprendre que ça faisait peur, et depuis, je ne met pas mon handicap en avant, c'est juste un élément parmis d'autres. Il fait partie de moi, mais n'est pas moi.
Je ne sais pas si ce message aura des réponses, où si là encore, seul le silence fera écho -peut être parce que vous, lecteurs, vous sentirez vous démunis, incapable de parler, ou par refus, en haussant les épaules. Je ne le saurai jamais si vous ne me faites pas signe, ce pourquoi j'aimerai bien que vous vous donniez la peine de commenter, même pour dire que vous ne savez pas quoi dire XD