[livre SF] La main gauche de la nuit, Ursula Le Guin, à la découverte d'un nouveau monde qui ne connait pas de dualité de genre homme/femme

Publié le par Lael Marguerite

[livre SF] La main gauche de la nuit, Ursula Le Guin, à la découverte d'un nouveau monde qui ne connait pas de dualité de genre homme/femme

Genly est un Envoyé de l'Ekumen sur la planète Gethen. Sa mission est de convaincre les habitants de faire alliance avec l'Ekumen ; mais dans un monde où c'est à peine si on a conscience qu'il y a une vie au delà du ciel, dans un monde divisé et gelé, où la biologie et le mode de vie est Autre, Genly est vu au mieux comme un possible ennemi, à peine comme un homme, lui qui n'a qu'un sexe et est perpétuellement disponible.

Fin janvier de cette année, Ursula le Guin est décédée ; je me suis lancée alors dans cette lecture hommage, La main gauche de la nuit étant son œuvre phare. J'ai peiné à la lecture, et je ne trouve pas que ce soit un récit d'une lecture facile, cela dit je ne peux pas regretter le voyage.

Au début je n'ai rien compris. On retrouve Genly dans un royaume assez médiéval, dans une discussion noyée de sous-entendus et de non-dit avec un certain Estraven, conseiller du roi. Les pensées de Genly qui envahissent la discussion n'aident pas, et ce n'est que rétrospectivement, à la fin du livre presque, que l'on peut comprendre que l'on tient ici une scène où tout se joue. Car l'autrice a fait le choix de nous donner les éléments par petits bouts, de nous montrer différents points de vue : le récit principal est vu par le prisme de Genly, mais Estraven vient aussi nous faire part de son récit, sans oublier les contes et passages mythologiques qui nous sont rapportés (il y a même un rapport ethnologique). Évoluer d'un passage à un autre a été délicat, surtout de Genly à Estraven qui s'expriment tout deux à la première personne.

C'est donc un récit assez éclaté qui nous ai donné à lire, et l'on comprend au bout d'un moment le pourquoi de cette intention. Car en réalité ce n'est pas Genly le personnage principal, et sa quête vis à vis de l'adhésion à l'Ekumen n'est qu'un prétexte à son aventure. Le personnage principal c'est la culture de Gethen, la complexité des sociétés de cette planète et comment la biologie de leurs habitants les influences dans ce qu'ils sont et font. L'aventure qui nous ai conté est celle d'une rencontre intime avec l'Autre, d'une quête intérieure qui retirera de la vue de Genly tous ses préjugés culturels, au point qu'il lui faudra presque devenir l'Autre pour le comprendre pleinement.

J'ai été surprise par l'aspect très non-technologique de cette autre planète, pour ne pas dire d'un autre temps, donnant l'impression de lire de la fantasy plus que de la science fiction : mais tout est parfaitement logique dans ce planet-opera, tout est adapté au peuple de cette planète, pourquoi souhaiteraient-ils plus, toujours plus comme nous, terriens insatiables ? On sent l'influence ethnologique, et donc des sciences sociales, dans cette SF qui s'attarde sur la culture d'un autre monde dans ses détails, de sa mythologie à ses modes de vies. Car au final, tout est lié. Et se pose avec intérêt la question de l'influence de la biologie sur le comportement, car sur Gethen, il n'y a ni homme ni femme, mais des êtres qui sur une période de "rut" peuvent devenir l'un ou l'autre, et concevoir alors la nouvelle génération. J'étais intriguée par cet aspect qui a fait l'un des succès de ce roman, et j'ai du m'habituer à ce que l'auteure ne m'explique rien clairement, s'attardant plus sur des réflexions et des moments de vies, y compris sur ce sujet principal -il faut attendre la moitié du livre pour avoir une explication un tant soit peu explicite. Je n'ai pas forcément adhéré à à son questionnement comme quoi la guerre serait imputable à la division en genres homme/femme, car les sociétés de Gethen sont tout de même assez cruelles, mais j'ai vraiment aimé cette réflexion de l'impact du genre sur les relations sociales, et cette démonstration que nous avons bien trop l'habitude d'utiliser cette référence genré comme base de nos relations. Il a été très intéressant de voir comme Genly cherche à communiquer au delà des genres, avec des êtres quasiment asexués.

J'ai aussi beaucoup aimé la deuxième moitié du livre qui nous livre un périple dans le froid et la quasi solitude, un peu à la façon de la Horde du Contrevent ou de Jack London. A ce moment là la planète se déchaine et n'en ai que plus belle, obligeant les personnages à aller au bout d'eux même pour enfin se comprendre mutuellement. Obligeant Genly, qui est quand même très mysogyne (il tient des propos qui parfois m'ont laissés dubitative, étant donné que cela a été écrit par une femme -notamment dans l'idée qu'une femme ne peut saisir l'abstrait ??) à finir par reconnaitre que Estraven est "autant homme que femme", et que c'est un individu dans son entier.

Le roman nous parles aussi de "patriotisme", et du rapport que l'individu peut avoir face à sa société, j'ai beaucoup aimé le passage où Estraven dit que les frontières n'ont aucun sens, et qu'il est absurde d'aimer ou de haïr un pays, "j'aime les collines du Domaine d'Estre parce que j'aime la vie" dit il page 224, "mais c'est un amour d'une nature telle qu'il ne saurait se changer en haine au delà d'une certaine ligne de démarcation".

Bref, il est difficile de résumer ce roman, pourtant court, elliptique parfois, mais nous présentant deux sociétés dans leurs menus détails, et sur une planète qui nous parait bien réelle lorsque l'on ferme le livre ; l'auteure ayant été jusqu'à nommer la moindre montagne, inventer un calendrier, du vocabulaire particulier (un "coup de main" étant une attaque punitive éclair) etc. C'est un roman complexe, trop peut être, mais qui ne laisse pas indifférent. J'ai le sentiment d'en être sortis plus riche sur toutes ces réflexions (ou plutôt ces questionnements qui nous amène à réfléchir) de genres, d'individu et de société, de la compréhension de l'Autre et ce que cela exige comme efforts. C'est aussi une belle histoire de rencontre et d'amitié, bien qu'émaillée de tristesses.

En conclusion un planet opera fort, riche et puissant, mais qui demande un gros effort de la part du lecteur. Il est appréciable de lire un roman qui ne laisse pas indifférent, et si vous êtes prêts à vous y investir, alors n'hésitez plus.

3/5

(parce que j'ai vraiment galéré -_- surtout la panoplie de noms des gens, des lieux... C'est plutôt typique de la fantasy, et j'ai du mal avec tout ça, je ne choisis pas la SF par hasard !)

Autre chronique à lire chez Lorkhan (attention il spoile l'intrigue, cela dit ce n'est pas le plus important de ce roman, c'est même complètement secondaire)

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